U comme unification

Publié le par Gwenaëlle

Elle poussa un soupir et tourna la tête afin d’apercevoir l’heure affichée sur le réveil. 5h54. Il leur restait encore deux heures à dormir et elle n’arrivait pas à trouver l’apaisement du sommeil. Elle se tourna sur sa droite, se redressa sur le coude et posa sa tête au creux de sa main. Son compagnon dormait profondément. Ses sourcils étaient froncés, créant des vagues sombres sur son front vert. Elle tendit la main et lui caressa la joue. Elle ne put s’empêcher de sourire quand elle vit son front se détendre, sous l’effet de sa cajolerie.

 

Leurs vies à tous allaient changer dans quelques heures. Le traité d’unification des mondes libres serait enfin définitivement ratifié par la totalité des 823 mondes et systèmes. Il manquait encore deux signatures, celle du monde des Humains, son monde et celle du monde des Stefanniens, le sien. Il s’agissait des deux plus grandes nations de l’univers connu et le protocole exigeait que ce soient les derniers à valider les traités de paix. Ils avaient tous travaillé d’arrache-pied pour parvenir à un accord de coopération, d’entraide et de tolérance entre les peuples. Demain, l’univers ne serait plus le même.

 

Les politiques, et il y avait encore quelques mois elle-même, voyaient surtout dans ce traité une façon d’unifier les mondes, d’éviter de nouveaux conflits et surtout de nouveaux désastres comme celui d’Hypérion II, et de permettre un commerce plus harmonieux et équitable. Mais sa rencontre avec le Stefannien lui avait offert un nouveau regard sur ce traité. Rien ne les destinait à se rencontrer, elle faisait partie de l’équipe diplomatique de sa délégation, lui était le Second Intendant de la sienne. Jusqu’à ce qu’ils se retrouvent coincés dans un transporteur automatique durant la Grande Panne des Aérotechs. Ils étaient restés plus de 5 heures enfermés dans un compartiment de transport de quelques mètres carrés. Au début, ils n’avaient échangé que des banalités. Elle fréquentait des Stefanniens depuis des années et elle avait appris à connaître les mœurs de ses hommes verts. Ils étaient réservés et n’échangeaient que lorsqu’ils se sentaient en confiance. La peau des humains avait des nuances passant du crème au noir profond, celle des Stefanniens arborait des couleurs d’un vert pastel au plus sombre des verts émeraude. Celle de l’inconnu lui faisait penser à la couleur des premières pousses lorsque le printemps revenait, légèrement jaune et nacré. Ce n’était pas une nuance courante chez les Stefanniens qu’elle connaissait. Mais elle découvrit rapidement qu’il n’était pas non plus un Stefannien comme les autres. Il avait un caractère emporté, il était très fier, un peu présomptueux et borné par moment. Ce qui le différenciait surtout c’est qu’il affichait facilement son humeur, contrairement aux représentants de son peuple, qui étaient connus dans l’univers pour être des personnes d’un stoïcisme exemplaires. Si elle avait fait abstraction de sa couleur de peau et de son accent, elle aurait pu croire qu’elle était avec un Humain.

 

Ils avaient parlé à bâtons-rompus, de leurs fonctions réciproques, de leurs vies. Elle lui avait appris de nombreuses choses sur les mœurs humaines et lui, il lui avait parlé de son monde, des plaines où chantaient les oiseaux, de ses paysages infinis. Puis ils avaient abordé naturellement la question du traité. Il l’avait profondément marqué, soulignant de nombreux éléments essentiels à la vie quotidienne qui étaient presque passés inaperçus aux yeux des dignitaires. Pourtant, ces points allaient se révéler essentiels dans la vie des peuples libres. Le traité d’unification ne poussait pas assez loin dans ses détails. Elle avait l’influence que lui ne possédait pas parmi les siens, elle constata sa frustration de ne pas avoir voix au chapitre. Il lui fournit des idées sur lesquelles il avait longuement réfléchi, possédant une solide argumentation pour les défendre.

 

Ils avaient évidement abordé, lors des débats, le problème de la citoyenneté, mais les reformes qu’elle pensait suffisantes, n’étaient que de timides et insuffisantes modifications d’une situation injuste. Actuellement, les unions entre deux personnes issues de peuples différents étaient mal vues. Dans la rue, mais également officiellement. Chacun perdait sa citoyenneté et les hybrides conçus étaient relégués à des taches subalternes, sans espoir d’atteindre des postes à responsabilité. Seul le système Zonia acceptait sans réserve les hybrides et les couples interdits, mais c’était un système aux ressources limités. Beaucoup préféraient rester dans leur monde et vivaient donc dans la clandestinité. Le traité allait pallier à cette injustice, mais comme il le lui fit remarquer ce soir-là, il ce n’était pas assez. Elle se mit à noter ses suggestions, ils débattirent tant et tant qu’ils ne virent pas les heures passer. Lorsque les portes du transporteur s’ouvrirent enfin, leurs vies avaient changé sans qu’ils n’en aient conscience.

 

Ils se revirent la semaine suivante, presque par hasard, si ce n’est qu’ils cherchaient chacun des occasions pour croiser l’autre. Il débordait d’idées, de principes et elle avait le pouvoir d’en faire appliquer une partie. Elle était passionnée par sa fonction et les nouvelles réformes qu’elle proposa au traité d’unification furent un combat qu’elle adora mener, pour elle. Ensuite, ce fut pour lui et un soir, pour eux. Ils étaient chacun très différents des gens qu’ils fréquentaient normalement et c’était peut-être ce qui avait fait que des sentiments forts étaient nés rapidement. Et comme les couples qui n’existaient jusqu’à présent, dans leur vie quotidienne, que sur le papier, ils avaient choisi de se cacher, en attendant des jours meilleurs.

 

Elle aimait le regarder quand il dormait. Les Stefanniens ressemblaient tellement aux Humains et pourtant, ils en étaient si éloignés ! Il y avait quelques différences physiologiques, mais elles étaient négligeables, seuls la culture et le caractère étaient vraiment différents. C’est ce qui expliquait sans doute pourquoi ces deux peuples s’étaient si longtemps opposés violement. Leur couple connaissait quelques tensions, mais rien d’exceptionnel, elle appréciait sa sagesse et il aimait son côté aventureux.  Même s’il avait un caractère très humain, il restait Stefannien et était trop prudent au goût de la jeune femme par moment. Prudent… Pourtant, c’était lui qui avait fait le premier pas, lui qui prenait le plus de risque si leur situation était venue à être découverte. Les Stefanniens étaient très durs sur la gestion des couples mixtes et il risquait à chaque instant d’être renvoyé dans son monde natal. Leurs fonctions réciproques les empêchaient d’être aussi souvent ensemble qu’ils auraient aimé, mais cela touchait bientôt à sa fin.

 

Demain, quand le soleil serait au zénith, tout cela serait finit. Les citoyens seraient libres de voyager, de travailler, d’aimer, sans craindre les conséquences, d’un changement de monde ou de système. Les mondes unifiés connaitraient un développement harmonieux, grâce à une économie d’échange plus saine. La paix s’installerait de manière durable, la belligérance, les conflits de territoire, tout avait été traité, codifié. Cela avait prit des années, mais le rêve était enfin à porté de la main.

 

Il ouvrit les yeux et elle sentit son corps tressaillir de plaisir et de bonheur sous son regard. Il lui faisait toujours cet effet. Il tendit le bras, telle une invitation et elle alla se caler contre lui. Il caressa négligemment sa hanche et elle se détendit. Demain, ils pourraient vivre au grand jour. Demain, ils pourraient unir officieusement leurs vies. Il lui avait demandé la veille de devenir sa femme devant les Dieux, les Hommes et les Stefanniens et elle avait dit oui. Deux signatures et un univers en paix. Deux signatures et une vie de bonheur.

 

Gwenaëlle C., le 21/03/2012

Publié dans Il était 26 fois...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article